C) Une faible population
La France contrôlait un immense territoire qui s'étendait du Labrador au lac Winnipeg jusqu'à La Nouvelle-Orléans et dont l'économie, assez florissante, était axée sur la fourrure, la pêche et les sociétés d'État (l'armée, les forges de Saint-Maurice, les chantiers navals, la pêche). Ainsi, à la fin du XVIIIe siècle, le territoire qu'on appelait la Nouvelle-France couvrait une superficie considérable et s'étendait de la terre de Baffin au nord jusqu'au Mexique au sud et comprenait pratiquement la moitié du Canada et des États-Unis actuels. Mais la Nouvelle-France du milieu du XVIIIe siècle était déjà réduite par rapport à celle de 1712 (avant le Taité d'Utrecht: ). Selon l'article 10 du Traité d'Utrecht, la France cédait tout le bassin versant de la baie d'Hudson à l'Angleterre. Selon l'article 11; elle s'engageait aussi à rembourser les torts faits à la Compagnie de la Baie d'Hudson en temps de paix. De plus, selon les articles 12 et 13, la France cédait à l'Angleterre la porte d'entrée de son empire, soit les colonies de l'Acadie (Nouvelle-Écosse) et de Plaisance (île de Terre-Neuve et une partie du Labrador).
À la fin du Régime français, en regard des colonies anglaises, le Canada se révélait bien peu de choses. La colonie menaçait constamment d'être étouffée par des territoires anglais au nord (la région de la Baie d'Hudson et Terre-Neuve) et au sud (les Treize Colonies de la Nouvelle-Angleterre), lesquels opposaient une population globale d'un million d'habitants, sans compter une main-d'œuvre de nombreux esclaves, probablement plus de 300.000. Néanmoins, vers 1750, la ville de Québec (6.000) constituait l'une des quatre villes les plus importantes de l'Amérique du Nord, avec celles de Boston (16.000), de Philadelphie (13.000) et de New York (11.000). À cette époque, la population urbaine du Canada comptait environ 10 000 habitants, dont 6000 à Québec et 4000 à Montréal, ce qui équivalait à près de 20 % de la population de toute la colonie. Cependant, dans la colonie de l'Île-Royale, la ville de Louisbourg comptait à elle seule près de 10 000 habitants, civils et militaires confondus.
En 1745, l'intendant Gilles Hocquart, l'un des plus remarquables intendants que la Nouvelle-France ait connus, faisait part à Louis XV de ses observations d'ordre démographique sur la Nouvelle-France, qui comprenait alors le Canada, la Louisiane et la colonie de l'Île-Royale (Louisbourg), mais qui ne comptait que 55.000 habitants par comparaison au million d'habitants des colonies anglaises de la Nouvelle-Angleterre:
« Québec 1745,
Votre Majesté Louis XV,
Malgré tous nos efforts, la population en Nouvelle-France augmente moins rapidement que dans les colonies anglaises. L’an dernier, il y avait environ 55 000 personnes en Nouvelle-France. Trois habitants sur quatre vivent à la campagne. L’autre partie habite dans les villes de la colonie : Québec, Trois-Rivières et Montréal. Québec est la capitale et la ville principale avec 4600 habitants et il y a 3700 personnes à Montréal. Seuls les voyageurs du commerce des fourrures ont un mode de vie plus nomade, les autres sont sédentaires.
La population est toujours concentrée dans la vallée du Saint-Laurent, entre Vaudreuil et l’île-aux-Coudres. Notre territoire de la Louisiane se développe encore plus lentement et seulement 4000 personnes y habitent.
Beaucoup moins de colons que prévu sont venus s’installer dans la colonie. Les familles canadiennes nombreuses sont responsables de l’accroissement de la population. Chaque famille compte en moyenne sept enfants. C’est la venue des filles du roi qui a permis cette croissance importante de la population. En conséquence, la plupart des habitants de la colonie sont nés ici et beaucoup d’entre eux se considèrent Canadiens plutôt qu’immigrants français.
Votre fidèle et très dévoué intendant,
Gilles Hocquart »
En 1745, l'intendant Hocquart avait constaté que la plupart des habitants de la colonie étaient nés au Canada et que beaucoup d'entre eux se considéraient davantage comme des Canadiens plutôt que comme des immigrants français. À la veille de la Conquête, ce sentiment identitaire s'accentuait davantage. Hocquart fut l'un des rares personnages de la colonie à avoir écrit sur le caractère des «Canadiens»; il en a fait une description en 1737 dans un Mémoire sur le Canada (voir le document).